
1re lecture : Sagesse 2, 12-20
Psaume 53
2e lecture : Jacques 3,16 - 4,3
Évangile : Marc 9, 30-37
1. L’évangile de Marc est formel : par trois fois, avec insistance, devant ses disciples, Jésus annonce sa mort douloureuse. Comment les disciples pourraient-ils comprendre ? Celui qu’ils aiment, qu’ils admirent, celui dont ils ne sont pas loin de penser qu’il va les mener tout droit à la gloire et la célébrité, eux dont la plupart viennent d’horizons très modestes… voilà qu’il annonce une fin ignominieuse… Certes, il y a cette mention de la résurrection trois jours après mais cela, ils ne l’intègrent pas du tout.
Ils ne comprennent pas… et pourtant ils sont depuis longtemps avec lui.
Nous aussi par bien des fois nous avons du mal à comprendre. Que signifie cette vie d’épreuves qui est souvent notre lot ? Épreuves personnelles de santé, de deuil, de mésententes familiales…, épreuves dans notre monde, les guerres, les déplacements de population ; épreuves qui en ce moment affectent durement notre Église en beaucoup de pays et en particulier le diocèse voisin de Rouen. Nous faisons alors bien des fois – ou nous avons fait - comme les disciples de l’évangile qui ont peur d’interroger leur maître ; au lieu de prendre la mesure de tout cela – la gravité du mal qui rôde autour de nous -, au lieu de tenter d’enrayer la logique du mal et les dégâts qu’il commet, nous ne faisons rien – ou nous n’avons rien fait - parce que cela risquerait en effet de bouleverser trop de choses, en particulier la réputation de l’institution à laquelle nous appartenons, à commencer par notre église.
2. Ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. J’ai l’impression que l’Évangile tape en plein dans le mille pour éclairer ce que nous vivons actuellement dans l’église, et en particulier quand le pape dénonce le méfait du cléricalisme. Le cléricalisme, c’est bien une prise de pouvoir dans lequel les clercs, c’est-à-dire des prêtres ou des évêques sont mêlés bien sûr, car ils incarnent l’institution, mais pas seulement car il peut y avoir beaucoup de laïcs qui les suivent dans leur inspiration malheureuse. Le cléricalisme, finalement, c’est un peu la pensée unique : vous devez penser et dire comme l’institution le pense et le dit, sinon vous êtes hors-la-loi. Le cléricalisme admet peu les reproches et les remises en cause, car cela fragilise inévitablement l’institution, dont ces clercs sont les membres et souvent les chefs, même s’ils ne paraissent pas toujours au grand jour.
Cela peut alors conduire à de grands désordres dont nous avons en ce moment une désastreuse illustration, avec les conséquences que cela entraîne sur l’image de l’Église, et les inévitables désaffections, spectaculaires ou sur la pointe des pieds, de nombreux laïcs.
3. il faut alors reconnaître que les propres disciples de Jésus, qui tombent à pieds joints dans ce cléricalisme naissant, vont réagir de magnifique façon ; après la Pentecôte, fondateurs de communautés vivantes et fraternelles – même si bien sûr tout n’allait pas de soi -, allant jusqu’au bout du monde pour évangéliser, et surtout donnant le témoignage d’une vie complètement donnée par le martyre, par le don de leur vie.
4. Regardons alors comment Jésus réagit face au cléricalisme naissant de ses propres disciples. C’est instructif.
- ce qui ne manque pas de frapper d’abord, c’est son calme : il ne se met pas en colère (il aurait pu !!), il se révèle ici patient et pédagogue. De quoi discutiez-vous en chemin ? Ils se taisaient car en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Beaucoup plus tard, nous nous en souvenons, une même question sera posée à deux d’entre eux qui, ayant quitté Jérusalem, allaient à Emmaüs. Mais, là, pas de discussion sur la majesté ou la grandeur de tel ou tel, mais une réflexion très très douloureuse sur quelqu’un qui, de grand qu’il était, s’était fait tout petit jusqu’à mourir sur une croix…
- Jésus « s’assoit ». Il invite à faire pareil, car s’asseoir c’est se faire petit, et se force à s’arrêter (dans la course aux honneurs ?). S’asseoir pour réfléchir et peut-être discerner que l’on fait peut-être fausse route, que notre attitude n’est pas la bonne.
- Il dit alors : si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. On ne pourra combattre le cléricalisme que par ce souci aigu de vouloir servir. La vocation de diacre, comme Pierrick le sera demain après-midi, être prêtre, évêque, cardinal ou pape, ça n’est pas pour avoir l’autorité, passer en premier, avoir une parole définitive et tranchante, mais c’est pour le service des frères. Malheureusement, nous le savons bien, dans l’esprit de beaucoup de nos contemporains, cette vocation est immanquablement associée à celle de pouvoir. Et le pouvoir peut tout pourrir, comme les récentes révélations dans divers diocèses du monde le montrent. Mais il en va aussi de même dans beaucoup d’autres domaines, politiques en particulier, où le pouvoir peut être vite associé à une pratique autoritaire toxique. Nous prions alors pour que Pierrick, et à sa suite, tous les diacres, prêtres et évêques, tous les hommes et femmes d’Église qui ont un peu de pouvoir, soient d’abord des serviteurs, humbles, besogneux, modestes, de la Parole de Dieu.
- même si cela évoque alors des choses douloureuses à cause de l’actualité, on peut alors regarder les gestes d’infinie tendresse de Jésus vis-à-vis de cet enfant qu’il prend et embrasse. Prendre un enfant ainsi, c’est prendre Dieu dans ses bras, goûter sa fraîcheur, son innocence, son sourire, sa gaîté… C’est goûter son besoin d’être aimé ; c’est éprouver au plus profond de soi le besoin à nous aussi d’aimer. Mais d’aimer avec un infini respect, en ayant peur de blesser, de faire mal, d’être intrusif.
Ce n’est pas le prendre pour le violenter.
C’est le prendre pour rendre grâce. Pour dire : Dieu, tu es comme cet enfant, et tu me demandes d’être comme lui, plein de grâce, de pureté, de gaîté. Tu me demandes la simplicité de l’enfant. Amen.
P. Loïc Gicquel des Touches